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Ses représentations les plus anciennes proviennent d’Orient, mais c’est à partir du XVIIIe siècle que les missionnaires occidentaux le répandent en Océanie et sur le Nouveau continent. L’engouement pour le patchwork a alors un sens pratique. A une époque où les tissus sont rares et coûteux, sa confection permet le recyclage de découpes diverses n’ayant pas servies pour d’autres travaux. Différents types de patchworks sont ainsi apparus à travers le monde, certaines régions s’appropriant considérablement bien le concept pour en faire un art à part entière.

Le tifaifai polynésien. Copyright : Philippe Bacchet
 
C’est le cas du tifaifai polynésien qui, en reo maohi, signifie raccomoder. Reconnaissable par ses motifs floraux et colorés, l’ouvrage est devenu un emblème culturel de ces populations du Pacifique Sud, une valeur traditionnelle que l’historienne Marie-Noëlle Frémy et la productrice Michèle de Chazeaux racontent aujourd’hui dans un livre, Le Tifaifai, paru Au vent des îles.
Le tifaifai - Michèle Chazeaux et Marie-Noëlle Frémy
Flora : Quelles différences entre le tifaifai et le patchwork occidental ?
Marie-Noëlle Frémy : Au début, il n’y avait guère de différence entre les tifaifai et le patchwork occidental. En effet, cet art du quotidien a été amené en Polynésie par les femmes de missionnaires protestants qui le pratiquaient et l’ont enseigné aux femmes des arii polynésiens. Mais, en l’adoptant, ces femmes y ont apporté leur façon de travailler en commun et leur propre imaginaire. Les tifaifai pu, encore très pratiqués aux Australes, sont restés assez proches du patchwork original, bien que les tifaifaiseuses se soient appropriées les motifs en les modifiant et en les nommant à partir d’objets de leur environnement. Si les tifaifai pa’oti, aujourd’hui les plus fréquents à Tahiti, se sont inspirés de la technique des appliques, les tifaifaiseuses polynésiennes ont inventé de multiples motifs et développé leur propre style. Toutes travaillent les contrastes et les associations de couleurs de manière magistrale, inspirées par la nature et la lumière de leur terre et de la mer qui la baigne. Quant aux tifaifai-tableaux, ils représentent avant tout le monde polynésien.
 
Quelles sont ses différentes fonctions ?
Les tifaifai ont d’abord été des objets d’apparat. Posés sur les lits ou utilisés comme tentures, ils servaient d’ornement pour les fêtes. Accompagnant désormais la fête polynésienne, ils sont aussi progressivement devenus des objets du quotidien. Mais on n’emploie pas les mêmes tifaifai pour les jours de fête et pour le quotidien. Le somptueux tifaifai cousu à la main est un patrimoine qu’on utilise avec précaution et que l’on passe d’une génération à l’autre, le tifaifai fait à la machine ou la simple couverture tahitienne accompagnent la vie de tous les jours. Le tifaifai est aussi un objet que l’on offre à l’occasion des évènements importants : mariage, naissance, passage d’un important personnage… Il peut accompagner le décès et servir de linceul. On le donne aussi à celui qui part au loin, il sera une marque identitaire, un souvenir familial, un lien avec le fenua.
L'art du tifaifai. Copyright : Magali Lamache
Les tifaifai sont-ils toujours réalisés de manière artisanale ?
Les tifaifai fabriqués en Polynésie sont réalisés souvent par des amatrices pour leur plaisir, pour les offrir ou pour les besoins de leur famille. Beaucoup d’amatrices achètent des tifaifai déjà coupés et montés par des artisanes. Il existe donc de très nombreuses artisanes (ce sont surtout des femmes) qui coupent, montent, cousent ou font coudre par des petites mains les tifaifai que l’on trouve à acheter. Elles travaillent presque toutes dans un cadre associatif qui leur permet de les commercialiser. Très peu d’artisanes travaillent avec des machines semi-industrielles.
 
Représentent-ils un enjeu économique pour la Polynésie française ?
Ce secteur de l’artisanat traditionnel est important même si l’apport économique qu’il représente pour le pays est difficile à quantifier. Les tifaifai peuvent être considérés comme un enjeu aussi économique que social puisqu’environ 8 000 personnes en dépendent. Ils font en effet vivre de nombreuses femmes accompagnées de famille. Pour d’autres familles, s’ils ne sont pas le revenu principal, ils sont un complément indispensable à l’équilibre financier. On peut ajouter que l’importation de tifaifai faits à bas coût en Asie représente une concurrence très douloureusement ressentie par les artisanes locales.
Le tifaifai. Copyright : Philippe Bacchet
 
Pourquoi les fleurs sont-elles un motif essentiel des tifaifai ?
Il est très logique que les fleurs, souvent exposées avec des feuillages, soient un des motifs les plus fréquents de tifaifai puisque les modèles sont choisis par les tifaifaiseuses pour leur beauté graphique. Entourées d’une végétation exubérante où les fleurs abondent, où leurs couleurs égayent une nature généreuse, ces femmes y ont trouvé le fondement de leur inspiration. Les fleurs savamment cousues montrent l’amour des Polynésiennes pour cette nature et pour leurs jardins patiemment travaillé : hibiscus, bougainvilliers, lianes jaunes, opuhi, roses de porcelaine, pitate jasmin, orchidées, oiseaux de paradis, anthuriums… Autant de fleurs disposées en décor sur le drap du tifaifai comme elles se présentent dans la nature, ou encore tressées en couronnes de fête pour en occuper l’espace, ou alors composées en bouquets pour en habiller les coins. Et la tiare en est le motif royal !

Les auteurs

Pour réaliser cet ouvrage, Marie-Noëlle Frémy, historienne spécialiste d’histoire contemporaine, a associé enquête livresque et enquête de terrain auprès des institutions, des artisans et des passionnés du tifaifai. Michèle de Chazeaux est professeur de lettres, productrice et animatrice d’émission de radio et de télévision pour Polynésie 1re. Elle a interviewé pendant des années les femmes et les hommes qui ont fait le fenua, explorant ainsi la mémoire collective de la Polynésie française. Ses relations avec le monde de l’artisanat polynésien ont permis cette étude du tifaifai et de ceux qui le produisent. Paru en 2012 à Tahiti, l’ouvrage est disponible en France métropolitaine.

Plus d’informations sur le site des éditions Au Vent des îles.

Crédits Photos : Philippe Bacchet et Magali Lamache.

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